L’opinion publique appréhende souvent les relations entre la
santé et les territoires au travers des transformations de l’implantation des
médecins généralistes et de la fermeture de services de santé de proximité ou
d’hôpitaux. Il en ressort ainsi le
sentiment que des territoires sont laissés à l’écart, en particulier dans les
zones éloignées des pôles urbains où l’offre de soins est la plus importante et
la plus innovante. Ce sentiment se développe dans un contexte où le
vieillissement de la population entraîne des problèmes de santé nouveaux, en
particulier des maladies chroniques, et une croissance de la demande de
services médicaux. Il va de pair avec des transformations des attentes en
matière de responsabilité médicale : fermeture de maternités qui n’ont pas une
activité jugée suffisante, développement de centres qui polarisent la recherche
et l’innovation.
La solvabilité et la rationalisation du système de santé pour fournir
aux populations un service optimal apparaissent aujourd’hui sous la double
perspective des déficits budgétaires et d’une demande de soins exponentielle.
Depuis les années 1970, ils sont au cœur des préoccupations publiques et
guident les recherches. Les évolutions actuelles portent sur l’allongement de
l’espérance de vie et le poids croissant des maladies dégénératives par rapport
aux maladies chroniques. Cette transition génère de nouvelles demandes et prises
en charge dont on ne voit pas clairement l’ampleur des effets économiques, sociaux, politiques et
éthiques.
En même temps, les modes de vie changent et les recompositions spatiales
qui en résultent (localisation des lieux de résidence, des activités de
production…) se traduisent par des écarts territoriaux importants, notamment en
matière de localisation des équipements de soins et des usages des services de
santé.
Les préoccupations croissantes relatives aux transformations de l’espace
et à leurs effets sur la santé constituent une autre manière d’aborder les
relations entre la santé et les territoires. Le plus souvent, elles s’expriment
en termes de dégradation de l’environnement et d’émergence de menaces pour la
santé sur les lieux de vie et de travail. Cette sensibilité culturelle a grandi
alors que le droit de l’individu à la
santé et à un environnement sain émerge progressivement comme un des droits
fondamentaux des personnes sur la société. Pour des populations qui sont ou qui
s'estiment menacées dans leur santé, la conquête de ces droits se manifeste par
des mobilisations collectives fortement ancrées localement et qui posent de
façon dramatisée la question des relations entre santé et territoires. Ces
mobilisations portent sur des composantes matérielles des territoires comme des
antennes de radiotéléphone, des incinérateurs, mais aussi des composantes
idéelles comme la qualité de l’air, de l’eau ou de l'habitat. Elles s’expriment
également sur les lieux de travail où l’organisation spatiale et l’environnement
sont mis en cause.
L’expertise épidémiologique est conduite à évaluer ces menaces pour la
santé ; pour cela elle prend en compte les dimensions temporelles et spatiales.
Mais des désaccords entre les savoirs des experts et ceux des acteurs locaux
subsistent, qui achoppent le plus souvent sur la définition des échelles
spatiales et temporelles retenues pour qualifier les problèmes posés.